Tshisekedi et Kagame en tête-à-tête à Bruxelles ? Washington et Kigali mènent la danse

 

Le Global Gateway Forum, qui s’est tenu du 9 au 10 octobre à Bruxelles, a révélé bien des choses sur la nature et la dynamique du conflit qui oppose la RD Congo au Rwanda voisin. Représentant leurs pays respectifs à ce forum d’investissement économique, les chefs d’État congolais et rwandais se sont ouvertement exprimés sur cette tribune internationale. Si c’était l’occasion pour les uns de tirer un trait sur le passé, du moins de se tolérer, les autres se sont, par leurs discours, royalement moqués de la politique irénique de la RDC après avoir fait tant de bruits. Devant l’assistance, le Président rwandais a notamment réaffirmé que la RDC devait assumer sa souveraineté en s’occupant d’abord des problèmes sécuritaires sur son sol avant d’accuser ses voisins. Le résultat est un échec de rapprochement sous les projecteurs du monde et une hostilité affichée entre les deux dirigeants.

Loin des objectifs des caméras, un tête-à-tête aurait été négocié et obtenu par la médiation américaine pour que Kinshasa et Kigali comprennent la nécessité de la paix et s’engagent à travailler efficacement pour y parvenir. Des sources diplomatiques à Washington ont confirmé que cette rencontre, tenue sous l’égide de l’envoyé spécial américain, visait à relancer le processus de paix enlisée. Ce qu’ils se seraient exactement dit demeure pour l’heure un secret. Cependant, Kagame a affiché une attitude condescendante, justifiée par les cartes qu’il a en main. Il a estimé que ces questions étaient prises en charge par Washington et Doha et qu’il n’était point besoin d’y revenir ou de faire un pas de plus.

La Maison Blanche joue un sale jeu !

Kigali et Washington seraient accrochés à la signature d’un accord de paix parce qu’ils auraient plus à gagner qu’à perdre, selon les engagements déjà pris par les uns et les autres. Pour le Rwanda, le gain réside dans la légalisation de son rôle dans la sécurité régionale et la neutralisation de la menace FDLR, condition qui lui permet de maintenir une influence de facto sur le Kivu. Pour Washington, il s’agit de sécuriser l’accès aux minéraux stratégiques. Il est clair que Kinshasa a compris la supercherie au cœur des discussions en cours et s’emploierait à contourner ces processus déjà enclenchés. En effet, ces derniers obligent la partie congolaise à respecter certains engagements, au premier rang desquels figurent la traque et la neutralisation des FDLR, tel que stipulé par l’accord de Washington signé le 27 juin dernier entre Kinshasa et Kigali. La contrepartie rwandaise, elle, reste vague et sujette à interprétation, ne prévoyant qu’un éventuel retrait des forces ou une cessation de soutien aux groupes armés, sans mécanisme de vérification contraignant.

L’intention de Kinshasa de quitter la table des discussions est manifeste depuis déjà quelques semaines. D’ailleurs, si tout patine à ce stade, que ce soit à Washington ou à Doha, c’est à cause de Kinshasa qui temporise tout. Voyant cela, Massad Boulos, fidèlement aligné sur l’agenda américain, a insidieusement tenté de faire revenir Kinshasa à ces processus. La Maison Blanche ferait même pression pour que les choses aillent le plus vite possible. C’est ainsi qu’il a même été demandé à la RDC de lancer la traque contre les FDLR.

« Nous saluons l’appel de la RDC à toutes les factions des FDLR à désarmer et à se rendre conformément à l’Accord de paix de Washington, tel que renforcé par l’ordre opérationnel du 1er octobre. Cette étape décisive fait progresser la mise en œuvre de l’Accord de paix de Washington, facilitant le rapatriement, le rétablissement de l’autorité de l’État et le renforcement de la stabilité dans l’ensemble de la région des Grands Lacs », a félicité M. Boulos quelques heures après le communiqué des FARDC qui rentre dans la logique de la mise en œuvre de l’ordre opérationnel du comité conjoint de supervision de l’accord de Washington.

Peu avant cela, M. Boulos a rencontré Tshisekedi et Kagame. Au centre de leurs échanges : comment faire taire les armes et promouvoir la paix afin « d’ouvrir la voie à des investissements américains qui permettront d’établir des chaînes d’approvisionnement en minéraux transparentes et de stimuler la croissance et la stabilité », a-t-il clairement souligné. Ces investissements visent prioritairement le cobalt et les terres rares, essentiels à la transition énergétique mondiale et à la compétition technologique entre les grandes puissances.

Il va sans dire que ce qui attire les USA, ce n’est pas la restauration de la paix en RDC, mais comment créer le cadre pour leurs investissements. S’il s’agit d’une paix fragile car obtenue sur papier, ils n’ont que faire d’une paix durable.

Le processus de Washington est irréversible. Les États-Unis entendent en tirer profit par des investissements, tout autant que le Rwanda, qui ne semble plus prêt à traiter directement avec Kinshasa sans témoin ni intermédiaire, en raison de la posture de Tshisekedi qui change de cap au gré des vagues.

Tshisekedi, entre moyens et ambitions

Une question mérite tout de même d’être posée : Comment devons-nous faire pour vider le prétexte du Rwanda à continuer d’agresser la RD Congo ? En toute logique, la réflexion devrait se faire autour de l’opérationalisation des FARDC, étant donné que tout ce à quoi s’engagent aujourd’hui la RDC et le Rwanda planterait le décor d’une guerre plus explosive demain.

C’est à cela que l’on risque certainement d’arriver. Refuser de capituler relève d’une force de caractère, et les FARDC peuvent bien relever ce défi. À l’interne, Kinshasa semble comprendre ce qui se prépare. La preuve en est l’appel lancé aux FDLR pour qu’ils déposent les armes. Cependant, cette stratégie semble équivoque et pourrait contenir un piège si elle est mal appliquée. La question centrale est celle-ci : l’accord demande-t-il à la RDC de neutraliser les FDLR ou simplement les appeler au désarmement ? Les concepts en droit international ne sont pas aléatoires. La contrainte face à laquelle se trouve la RDC est que les FDLR ne devraient représenter aucune menace. Tant qu’elle subsistera, le Rwanda n’aura pas levé ses mesures défensives placées sur le sol congolais.

Qu’est-ce qui convainc Kinshasa qu’une fois la traque contre les FDLR achevée, le Rwanda ne va pas fabriquer un nouvel alibi par l’instrumentation d’un nouveau mouvement aux velléités génocidaires pour justifier sa présence militaire dans l’est de la RDC ? Et si ces FDLR existaient réellement ou avaient renforcé les rangs des FARDC, ne seraient-ils pas une menace à la RDC en voulant essayer de se défendre ? Comment en est-on arrivé là ? La diplomatie congolaise a failli en concédant aux pays de la région l’avantage de l’anticipation. La série d’accords mal négociés, comme ceux de Luanda et de Nairobi qui ont permis le maintien des forces étrangères sur le territoire congolais, en est un exemple criant. Il n’est cependant jamais trop tard pour faire mieux : il faut reconnaître nos forces, rectifier le tir et s’affirmer sur l’échiquier continental. Au cas contraire, la paix concédée aujourd’hui sera reprise demain. La seule paix qui compte est celle dont la RDC s’empare, une paix qui est réellement nôtre et durable.

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