Mis sous les projecteurs, l’agenda, la posture voire les discours d’un chef de l’État ne passent généralement pas inaperçus. Dans un pays en guerre comme c’est le cas en RD Congo, cette réalité est davantage prononcée qu’en temps normal. Ce faisant, le président Tshisekedi est en train de battre le record des chefs d’État dont les sorties médiatiques suscitent plus d’interrogations que de réponses.
L’appel inattendu de Bruxelles
Du haut de la tribune du Global Gateway à Bruxelles en Belgique où il séjourne, le président congolais a saisi l’occasion de faire un appel du pied à son homologue du Rwanda pour une désescalade de la crise dans l’est du pays. « Nous sommes les deux seuls capables d’arrêter cette escalade… Il n’est pas trop tard pour bien faire. Je prends à témoin ce forum et le monde entier pour vous tendre la main Monsieur le Président à ce que nous fassions la paix des braves », a déclaré Félix Tshisekedi d’un ton faible et moins rassuré.
Ces mots bien que mesurés, intégrant l’usage du langage diplomatique en la matière, révèlent un état de choses bien troublant : celui de l’échec de la diplomatie congolaise dans toutes les négociations où la RDC était impliquée.
L’aveu d’impuissance et l’échec de la stratégie
« Nous sommes les deux seuls capables d’arrêter cette escalade » est un aveu d’impuissance à faire basculer le cours des événements en la faveur du pays. Dès lors que Félix Tshisekedi reconnaît que la voie de sortie de crise dépendrait uniquement du Rwanda et de la RDC, il rend caducs les efforts d’intermédiation extérieurs. Il estime ainsi que les accords négociés à Washington et à Doha ne seraient que des capitulations sans les garanties nécessaires au rétablissement d’une paix durable. Ce n’est pas la première fois que Tshisekedi fustige le manque de progrès dans l’avancée de cette question. Cette posture du Président congolais implique que les processus de paix menés et ceux en cours sont au point mort. Impossible donc d’espérer des résultats dans un délai raisonnable. Cette lecture pragmatique de la situation, selon les dynamiques inhérentes à ce processus de négociation complexe, oblige Kinshasa à reconsidérer son approche en ce qui concerne l’objectif de paix.
Face à cet échec cuisant, Tshisekedi veut se tourner finalement vers une approche pacifique dont les deux pays détermineraient seuls leur avenir commun sans intermédiaire puissant, pouvant tirer profit de cette situation.
De l’enfer promis à la main tendue : une inconséquence flagrante
« En aucun moment, je n’ai affiché une attitude belliqueuse… » Cet argument est avancé dans l’espoir de restaurer une confiance essentielle à la quête de la paix et du développement en RDC. Cependant, la posture actuelle du chef de l’État se heurte à une contradiction flagrante entre ses actes et ses paroles. Nous ne parlons ici que d’un effet d’annonce sans lendemain, car, en décembre 2023, Félix Tshisekedi, alors candidat, avait promis l’enfer à Paul Kagame. La menace, « À partir de Goma, nous allons toucher Kigali, à la moindre escarmouche », avait trouvé un écho fort chez un peuple aspirant à en finir avec le régime de Kigali. Pourtant, cette posture martiale s’est dissoute avec la chute de Goma en janvier et de Bukavu en février derniers, ouvrant la voie à des négociations stériles pour les Congolais. Ces échecs, sur le terrain comme sur le plan diplomatique, ont contraint Kinshasa à changer son approche. Ce revirement abrupt du discours, allant de « la moindre escarmouche » à une « poignée de main tendue », illustre l’irrésolution et l’inconséquence du pouvoir en place.
La crédibilité en question
La question capitale qui se pose est la suivante : comment Kinshasa peut-il, avec un tel revirement, asseoir sa nouvelle approche et regagner la confiance perdue, et à quel prix ? Dans cette guerre, la RDC paie déjà un lourd tribut à cause d’une stratégie défaillante. Une menace non crédible et largement inefficace a mené à la chute des deux Kivus et à un nombre impressionnant de morts lors de l’entrée des troupes rwandaises à Goma.
Dans le secret des discussions, il pourrait certes être tenté de dire à Paul Kagame de ne pas lui « en tenir rigueur », en prétextant que : « Je l’avais dit par pression des responsabilités qui sont les miennes et pour des raisons électoralistes ». Mais l’essentiel est là : il est permis de douter qu’une seule de ses paroles suffise encore à créer le climat de confiance pour ramener le Rwanda dans cette dynamique. Ce leadership chancelant, décousu et gémissant finit par humilier la RDC sur la scène internationale. Quelle crédibilité attacher à notre pays ? La crédibilité se définit comme l’image que nous projetons, soit la perception que les autres en ont lorsque les actes ne concordent plus avec les paroles ou les objectifs fixés.
À quand la main tendue à l’opposition ?
Il est indécent de se battre pour la paix en tendant la main à Kagame pour y travailler et d’écarter ce genre d’initiative en interne. Le président Tshisekedi chercherait à avoir une initiative dont le contrôle ne lui échapperait pas. Au moment où toutes les voix se lèvent et reconnaissent que les causes du conflit sont endogènes et exogènes, escamoter cette étape risque de conduire à l’auto-flagellation.
Tshisekedi veut-il réellement la paix ? Avec qui ? Il est manifeste à ce stade qu’il veut s’engager à construire la paix. La paix avec tous est la meilleure voie qui nous mènera vers le développement.
De ce fait, le Président doit d’abord trouver la paix avec lui-même. Il s’est délibérément choisi un adversaire en la personne de Joseph Kabila, qui semble hanter ses nuits et ses jours. Il doit comprendre que Kabila n’est pas son adversaire principal pour pouvoir faire la paix avec lui-même, avant de s’engager dans cette même quête avec l’ensemble de la nation. Tant que cela n’est pas fait, la paix ne sera qu’un mirage, plus on s’en approche, plus il disparaît.
