« Tribune du Professeur Ordinaire et Constitutionnaliste congolais Dr. Mafelly Mafelly Makambo »
Le Professeur ordinaire et constitutionnaliste congolais Dr Mafelly Mafelly Makambo est sorti de son silence datant d’il y a plus d’une année, pour faire réfléchir l’élite congolaise autour de la question fondamentale relative à la gouvernance des institutions congolaises au lendemain des élections générales. Ce cerveau du microcosme scientifique RDcien/RD congolais s’interroge, dans sa tribune, si le président élu légitime du peuple, à l’issue des élections, peut-il gouverner la RDC avec ou sans majorité parlementaire. Le Professeur ordinaire Mafelly Mafelly Makambo fait un tour d’horizon dans l’histoire de la RD Congo de 1960 à nos jours. In fine, il note d’une manière générale que l’actuelle constitution du Congo Kinshasa, loi fondamentale du pays de Patrice Emery Lumumba, contient beaucoup de lacunes et d’imperfections. Il propose ainsi qu’elle soit revisitée de fond en comble. Ci-dessous l’intégralité de sa tribune coupe-gorge à la veille des élections générales prévues le mercredi 20 décembre 2023.
TRACTATIONS ÉLECTORALES EN RDC : AVEC OU SANS MAJORITÉ A L’ASSEMBLÉE NATIONALE, UN PRÉSIDENT PEUT-IL GOUVERNER LA RDC ?
Si la victoire à l’élection présidentielle est une étape importante, en revanche, un sérieux problème se pose pour l’heureux élu. En effet, ce dernier ne pourra pas tenir ses promesses faites à la population lors de la campagne électorale s’il n’a pas une majorité confortable à la Chambre basse. Il ne sera pas en même d’appliquer son projet de société politico-socioéconomique et culturelle faute de cette majorité.
Dans le cas d’espèce, notre question est de savoir s’il est permis au Président de la République de tout faire? A-t-il les mains libres pour agir dans tous les sens sans être bloqué? Bien que le débat pendant la campagne électorale l’avait opposé aux autres candidats et lequel avait suscité beaucoup d’intérêt sur son programme, que dit alors notre Constitution du 18 février 2006, telle que révisée par la loi du 20 janvier 2011?
La Loi Fondamentale déclare dans son article 78, alinéas 1-4, ce qui suit:
» Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.
Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition.
La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois.
Le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre »
En ce qui concerne la formation du Gouvernement, le Président de la République est le maître de jeux, car c’est lui qui nomme le Premier ministre issu bien évidement de la majorité parlementaire. En analysant cette disposition constitutionnelle, nous arrivons à la conclusion selon laquelle, l’observance de la Loi Fondamentale sous examen n’a jamais été de stricte application et/ou respect; pour la simple raison suivante: les chefs de différents Gouvernements qui se sont succédés n’ont jamais été ni députés nationaux ni sénateurs. Cas d’Antoine GIZENGA, Secrétaire général du Parti Lumumbiste Unifié (PALU), premier Chef du Gouvernement de la troisième République; le Premier Ministre MATATA PONYO, membre de PPRD, était Ministre des Finances au moment de sa nomination, et enfin les exemples les plus récents ci-dessous à savoir:
Sylvestre IIUNGA PPRD Septembre 2019
nommé en avril 2021;
Jean-Michel SAMA LUKONDE KYENGE ACO,
d’avril 2021 à ces jours.
Ces derniers étaient eux aussi nommés sans être issus de la majorité parlementaire, c’est-à- dire ils n’étaient ni députés nationaux encore moins Sénateurs. Ne sommes-nous pas face à des cas de jurisprudence créée par les nominations susmentionnées ? Le Président élu peut donc nommer un Premier ministre de son choix.
De ce fait, dans l’hypothèse où le Président élu n’a pas de majorité, il va nommer un informateur pour trente jours renouvelable une fois, afin d’identifier une coalition.
La coalition est une alliance et/ou entente politique conclue entre deux ou plusieurs parties prenantes, afin de gouverner ensemble; former un Gouvernement de large union nationale.
Depuis 1960, tous les Gouvernements qui se sont succédés démocratiquement ou non se sont constitués grâce aux alliances ou aux coalitions à cause du multipartisme: 1960, 1990- 1997, 2002-2006, 2006-2011, enfin après 2011.
Examinons les coalitions nées sous la 3ème République lesquelles renouent avec la tradition du recours aux coalitions et aux alliances, notamment lors des élections de 2006. L’alliance de la Majorité Présidentielle (AMP) PALU, UDEMO. La majorité parlementaire qu’avait détenue cette plate-forme et garanti une stabilité agitée aux Gouvernements d’Antoine GIZENGA-MUZITO.
Les formations politiques qui avaient pris part aux élections de 2006 sont d’origine politico- militaire issue du dialogue de Sun-City (Afrique du Sud); lesquelles se sont muées en formations politiques et entités qui, constitueront les coalitions politiques formatrices d’un Gouvernement de coalition conduit par un Président de la République plus 4 Vice-Présidents (appelé 1+4) un système unique dans son genre, car du jamais vu nulle part ailleurs.
Dans notre cas, la coalition peut aussi être interprétée comme étant une sorte de cohabitation qu’avait connue la France, en trois fois sous la V ème République (1986-1988/1993-1995/1997-2002). Dans ces cas, le Président de la République avait nommé un Premier ministre qui n’est pas de son obédience. Chose normale, car c’est le pouvoir propre du Président Français, prévu par l’article 8 de la Constitution française du 04 octobre 1958.
Par ailleurs, si le Président Congolais élu aimerait avoir des ministres dans le Gouvernement, il ne nommera que ceux de la majorité parlementaire, des personnes de confiance, des patriotes; comme il pourrait aussi nommer un de ses fidèles au poste de Premier ministre tout en évoquant la jurisprudence citée ci-dessus; et sans doute, des Ministres au Gouvernement.
Si cette dernière démarche suscite une sorte de tension entre le nouveau Président et l’Assemblée nationale, le Président est appelé à dissoudre cette dernière, conformément à l’article 148, alinéas 1 à 3, qui stipule: « En cas de crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale, le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Aucune dissolution ne peut intervenir dans l’année qui suit les élections, ni pendant les périodes de l’état d’urgence ou de siège ou de guerre, ni pendant que la République est dirigée par un Président intérimaire. A la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale, la Commission électorale nationale indépendante convoque les électeurs en vue de l’élection, dans le délai de soixante jours suivant la date de publication de l’ordonnance de dissolution, d’une nouvelle Assemblée nationale ».
Cela veut dire qu’en cas d’un conflit latent entre le Président élu et l’Assemblée nationale, celle-ci peut être dissoute dans un délai d’un an après les élections, et la CENI doit convoquer les élections dans le délai de 60 jours. L’objectif est d’avoir non seulement une majorité confortable au sein de l’Assemblée nationale, mais aussi et surtout, nommer des membres du Gouvernement acquis à sa cause, afin de matérialiser ses promesses faites lors de sa campagne électorale.
C’est l’application pure et simple de la politique maximaliste.
En revanche, en cas de dysfonctionnement des Institutions qui persisterait, le Président de la République peut user de sa prérogative portant sur la révision de la Constitution (Article 218, alinéa 1) afin de modifier la ou les disposition (s) constitutionnelle (s) qui pose (nt) problème pour la mise en application du programme, sur base duquel il a été élu par la population. C’est aussi un atout majeur pour faire basculer la situation à son avantage, car la politique a aussi ses réalités.
Cette révision de la Constitution ne sera pas la première, loin s’en faut, car selon le Professeur Jacques Djoli Eseng’Ekeli, notre Loi des Lois connait la modification de 8 articles suivants: 71, 110, 126, 149, 197, 198, 218, et 226. (Lire son ouvrage de Droit constitutionnel, l’expérience congolaise, chez L’Harmattan, Paris, 2013, p.238). C’est dans cet esprit que la Loi n°11/002 du 20 janvier 2011, portant révision de certains articles de la Constitution avait modifié l’article 71, qui prévoyait l’élection du Président de la République à deux tours, est de nos jours ramenée à un seul tour, (cas des élections de 2018).
En dernier ressort, le nouveau Président en tant que garant, peut aussi faire recours à l’article 69 de la Constitution qui dispose dans son alinéa 3: «…il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale et du respect des traités et accords internationaux » Cet article confère au Président de la République un pouvoir discrétionnaire. Mais comment doit-il s’y prendre afin d’obtenir la majorité qui lui fait défaut au Parlement? Toute la question est là. En revanche, nous pensons qu’ il lui faudra le pragmatisme.
D’une manière générale, notre Loi fondamentale contient beaucoup de lacunes, et d’imperfections. Elle est très ambiguë. D’où, l’intérêt d’une nouvelle Constitution pour la RDC. En effet, celle du 18 février 2006 est l’œuvre des belligérants et des experts étrangers qui avaient imaginé un type de Gouvernance unique au monde, soit un Gouvernement dirigé par un Président de la République et quatre vice-Présidents. Raison pour laquelle elle doit être revisitée de fond en comble.
Dr. Mafelly Mafelly Makambo Professeur Ordinaire Constitutionnaliste