Thierry Monsenepwo
Le 30 juin 2022 est l’épilogue d’un long processus enclenché avec perspicacité par le Président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo qui, pour l’histoire, aura réussi le pari d’organiser les funérailles du héros national Patrice Emery Lumumba et de modeler un lieu de pèlerinage où reposera pour l’éternité sa dépouille. La postérité retiendra que cette page douloureuse de l’histoire tragique de notre pays a été conclue de la plus belle des manières par le cinquième Chef d’État congolais. Rendre à Lumumba la douceur de la terre de ses ancêtres est un symbole subliminal qui inaugure une nouvelle ère d’espoir pour la nation.
Dorénavant, nous devrions résolument nous serrer les coudes pour bâtir le bel avenir dont le héros national avait parlé dans son testament.
Cependant, autant Lumumba est rehabilité après avoir été effacé de l’histoire pendant 61 ans par ses bourreaux outre-atlantique, autant le supplice de 6 millions de Congolais morts du fait des guerres d’agression rwando-ougandaise mérite enfin d’être reconnu comme le plus grand génocide de l’histoire africaine. Le travail de mémoire qui n’a jamais été fait pour nos aïeux décimés par Léopold II pour l’ivoire et le caoutchouc doit se faire pour les nombreuses victimes de la guerre du Coltan, de l’Or, du Cacao et du bois que nous mènent les puissances occidentales par l’entremise du Rwanda et de l’Ouganda. Il est temps que la conscience de la communauté internationale soit chargée du fardeau des crimes qu’elle cautionne en République Démocratique du Congo.
Si le Rwanda continue à bénéficier d’une rente génocidaire pour un génocide d’à peine 800.000 âmes, à combien plus forte raison la RDC ne devrait-elle pas aussi être en droit de revendiquer, sans surenchérir, la même rente mémorielle pour ses six millions de morts dûment documentés par le rapport mapping des experts des Nations-Unies ?
L’idée serait que Son Excellence Monsieur le Président de la République profite de la solennité de la mise en terre de Lumumba le 30 juin prochain pour constituer le 02 août de chaque année en date de commémoration du génocide congolais. En effet, la date du 02 août 1998 rappelle l’inauguration officielle de l’agression rwandaise en République Démocratique du Congo avec sa cohorte de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et du plus grand génocide d’Afrique. Une telle annonce présidentielle faite le 30 juin 2022, à l’occasion de l’ensevelissement du panafricain Patrice Emery Lumumba, aurait l’avantage d’être relayée par toute la presse nationale et internationale invitée à couvrir les obsèques du héros national, et de marquer ainsi les esprits. Ça s’appelle faire d’une pierre deux coups.
Il s’en suivrait alors l’édification des stèles à la mémoire des victimes à Kisangani où s’étaient affrontées les armées rwandaise et ougandaise, ainsi qu’à Goma, cette ville-martyre devenue le souffre-douleur du Rwanda.
En effet, il suffit de poser la mention « génocide congolais » sur n’importe quel moteur de recherche pour être alimenté par une kyrielle de pages racontant toutes les atrocités commises en RDC les 24 dernières années. Et le nombre total de Congolais tués concorde dans plusieurs rapports, à l’instar de celui de l’International Rescue Commitee (IRC) en 2006 ou encore celui de l’ONU en 2010. L’unanimité est frappante : entre 4 et 6 millions de vies congolaises ont été fauchées.
La question est alors de savoir pourquoi personne, en commençant par les officiels congolais, n’ose nommer la réalité génocidaire congolaise pourtant fraîche dans les mémoires ? Pourquoi ce silence national et international ? Combien de morts de plus faut-il encore enregistrer pour reconnaître que l’élimination indistincte de la population congolaise par des armées d’occupation pendant un quart de siècle procède bel et bien d’une planification génocidaire avérée ?
En 2010 le rapport mapping des experts des Nations-Unies contenait dans sa pristine version le concept génocide pour qualifier les crimes commis par les rwandais en RDC.
Très accablant, ce rapport pointait l’armée rwandaise comme auteure du génocide commis à l’Est du pays, avec des participations documentées de l’armée ougandaise. Sous prétexte de pourchasser les auteurs du génocide de 1994, le Rwanda a investi le Congo pendant plusieurs années. À en croire les experts des Nations-Unies, c’est de là que le calvaire congolais est parti.
Hélas, avant la publication dudit rapport, le Rwanda exigea et obtint que le mot « génocide » n’apparaisse pas, menaçant de retirer ses 3300 casques bleus qui étaient au Darfour à l’époque ! Le manège fonctionna.
Tout en s’accordant sur le nombre de victimes qui se comptent en millions, les experts semblent divisés sur l’acception du mot « génocide ». Il y en a qui estiment qu’on ne saurait parler de génocide au Congo dans la mesure où «ces massacres sont divers, opérés par des acteurs divers, aux mobiles divers … ».
Pourtant le génocide s’entend « d’un crime qui consiste en l’élimination physique intentionnelle, totale ou partielle, d’un groupe national, ethnique ou religieux… lorsque ses membres sont détruits ou rendus incapables de procréer en raison de leur appartenance au groupe». Cette définition colle à perfection à la réalité congolaise par rapport à la politique de pogrom des populations autochtones pratiquée par le Rwanda pour les supplanter par des allochtones étrangers.
Sans vouloir donner de cours d’histoire, il sied de rappeler que si le génocide rwandais avait été reconnu, c’était surtout grâce à l’implication du gouvernement rwandais. En revanche, les différents gouvernements congolais n’ont jamais rien fait en ce sens; en tout cas rien de concret.
Elie Wiesel disait que le « bourreau tue toujours deux fois, la seconde c’est par l’oubli». Le Rwanda commémore chaque année, et ce pendant une semaine, ses morts. Pendant ce temps, au Congo, il n’y a même pas un seul mémorial pour nos morts, ni une journée qui leur soit réservée. Il appartient à ce Gouvernement-ci de faire en sorte que les bourreaux de 6 millions de nos compatriotes ne les sacrifient pas une seconde fois outre-tombe sur l’échafaud de l’oubli.
Que cette 62ème commémoration de notre accession à l’indépendance puisse également coïncider avec ce devoir de mémoire là. C’est parce que nous n’honorons pas assez la mémoire de nos sœurs, femmes et enfants tombés sous les balles et machettes des ennemis expansionnistes que ces derniers se croient permis à pérenniser les tueries désormais banalisées par des actes terroristes quotidiens qui portent la signature de ceux et celles qui ont toujours voulu, par la
force et la ruse, prendre les terres de nos ancêtres.
Que les âmes de nos compatriotes de Kisangani lors de la guerre de 6 jours, de celles de nos compatriotes de deux Kivus puissent à jamais reposer en paix.
Bonne commémoration du 30 juin.